Bad Münstereifel : une revitalisation commerciale de cœur de ville plutôt réussie


Rédigé par Jean Sylvain CAMUS le Jeudi 2 Mai 2019 à 11:18

Alors qu’en France les commerces de centre-ville peinent à maintenir leur activité, accusant à tort ou à raison, les politiques de les abandonner en favorisant la création de grandes surfaces en périphérie, une petite ville Allemande, Bad Münstereifel, prouve que tout est encore possible, en transformant son cœur de ville en une véritable galerie marchande. Une idée qui fonctionne et qui pourrait peut-être servir d’exemple pour la revitalisation des centres-villes français ?


Une rue historique de Bad Münstereifel, transformée en galerie marchande à ciel ouvert (Photo Adobe Stock)
Avec ses rues étroites, ses maisons à colombage et son enceinte fortifiée, Bad Münstereifel est une petite ville allemande comme on les aime. Située en Rhénanie du Nord-Westphalie, à mi-chemin entre Aix-la-Chapelle et Coblence et à 60km au Sud de Cologne, Bad Münstereifel compte un peu plus de 18 000 habitants. Ville touristique, aisément accessible par le train ou en voiture, elle est le point de départ de nombreuses randonnées à pied ou à vélo au milieu des collines et des forêts de l'Eifel, un massif préservé. 

Malgré cette vocation touristique et, comme partout en Allemagne la présence d'un tissu de petites et moyennes entreprises, Bad Münstereifel a vu au cours des années sa population diminuer, l'âge moyen de ses habitants augmenter et son commerce péricliter. En 2010, la moitié des 15 000 m2 de planchers commerciaux du cœur de ville était vacante. Face à cette situation, un groupe d'investisseurs privés locaux décide, en 2011, de transformer le cœur de ville en un centre de marques, un « outlet » (magasins d’usine dans le jargon commercial).  

Le projet passe par la création d’une structure privée qui se charge d’acquérir des surfaces commerciales en pied d'immeuble. Deux ans plus tard, 30 magasins pour une surface de 10 000 m2 était acquis par cette structure pour en faire un village de magasins d’usine en cœur de ville et non pas dans une zone commerciale périphérique. En 2014, le « City Outlet Bad Münstereifel  » ouvrait au public.
 
Le centre a accueilli 500 000 visiteurs durant les quatre premiers mois. 5 ans plus tard, la barre des 2,5 millions est franchie 
Le centre s'organise le long des Werther Strasse et Orchheimer Strasse qui traversent le cœur de ville historique, à l'intérieur des remparts. On y retrouve des marques très populaires en Allemagne comme Jack Wolfskin, Puma ou Bugatti, mais aussi Levi's, Tom Tailor, Douglas, Lindt, etc. A chaque porte de la ville fortifiée un stand d'information permet de renseigner les visiteurs. Les opérateurs ont également travaillé sur le mobilier urbain avec des bancs, corbeilles… et, comme dans un centre commercial, des animations sont régulièrement organisées. Fait remarquable : la diversité commerciale urbaine a été préservée. Des nombreux commerces indépendants sont toujours présents, lesquels bénéficient alors de l’attractivité du nouveau centre-ville. La presque totalité des restaurants en fait partie, ainsi que des commerces de bouche traditionnels. 
 
Bénéfice de l'opération : la baisse de la population a été stoppée. On note même dès 2015 une légère augmentation du nombre d'habitants, confirmée l'année suivante. La vocation touristique de Bad Münstereifel est confortée par l'ouverture, en 2016, de nouveaux hôtels. Enfin, en 2018, la ville a lancé un programme de développement urbain intégré qui, selon la Maire Sabine Preiser-Marian (CDU), n'aurait pas été possible sans la présence de l'outlet.

Mais au-delà de ces données démographiques et économiques, le City Outlet Bad Münstereifel est-il une réussite. Si l'on considère la réalisation urbaine et architecturale, c'est certain. Le développement s'est fait dans le respect total du bâti ancien, protégé il est vrai par des règlements fédéraux. On est loin des pastiches de l'architecture vernaculaire qui semble être l'horizon indépassable du monde des outlets. A Bad Münstereifel, l'outlet propose de faire du shopping dans une atmosphère « authentiquement authentique ».
 
Si le pari est réussi, l'histoire n'est cependant pas aussi rose que les façades anciennes, même rénovées. S'il n'a pas suscité d'opposition frontale, le projet ne s'est pas non plus déroulé dans une unanimité béate. On a d'abord critiqué une forme de privatisation de la ville. Les demandes d'ouverture du dimanche, dans un pays où les commerces n'ouvrent le samedi après-midi que depuis quelques années, ont fait grincer des dents. Des commerces traditionnels ont quand même fermé, leurs propriétaires préférant vendre les murs aux développeurs de l'outlet. Même Heino, célèbre chanteur de variété allemand et natif de Bad Münstereifel a fermé son café. Ces commerçants ont, pour certains, rouvert des magasins à l'extérieur du cœur de ville. Les opposants ont brandi la menace d'une nouvelle concurrence entre centre et périphérie. Mais à Bad Münstereifel, ce dernier argument est relatif : le cœur de ville s'étale sur 650m de distance et se parcourt en 15 minutes et la périphérie n'est jamais très loin... Le cœur de ville garde tout de même 30% de commerces traditionnels.
 
Un exemple unique en Allemagne. Une solution pour la France ? 

5 ans après son ouverture, le City Outlet Bad Münstereifel reste un exemple unique en Allemagne. Il est certain que cette initiative privée a été rendue possible parce qu'elle émanait d'investisseurs locaux, c'est-à-dire d'habitants souhaitant investir leur propre argent pour sauver leur ville. Ils ont reçu immédiatement le soutien de la municipalité. 

En France, cela n'est pas sans rappeler certaines idées du rapport Marcon (Président honoraire des chambres de commerce et d'industrie de France et Maire de Saint-Bonnet-Le-Froid) sur la revitalisation commerciale des villes petites et moyennes de février 2018. Parmi les préconisations, on trouve en effet la création de SCIC (Société coopérative d'intérêt collectif) rassemblant investisseurs locaux et puissance publique avec comme objectifs la reprise, la transformation et la gestion des commerces de rez-de-chaussée en centre-ville. Les ORT (opération de revitalisation territoriale), reprises dans la Loi ELAN, introduisent quant à elles des procédures d'urbanisme simplifiées.

Rien ne s'opposerait donc au développement de projets s'inspirant du City Outlet Bad Münstereifel en France. Cependant, vu la taille du marché pour ce genre d'équipements, leur acceptabilité par les publics locaux et la concurrence entre aires urbaines, seules les villes les plus hardies pourront y accéder. A l'heure où le programme Action Cœur de Ville prend forme, les apôtres du petit commerce traditionnel seront-ils prêts prendre le taureau par les cornes pour sauver des centres-villes ? 

Jean Sylvain CAMUS
Conseil en stratégie de communication immobilière





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