Grande-Synthe : L’agriculture urbaine pour répondre aux difficultés sociales


Rédigé par Yannick SOURISSEAU le Vendredi 15 Mars 2019 à 19:19

Médiatisée par les migrants qui y font escale avant de partir vers l’Angleterre, la crise de la sidérurgie et son taux de chômage bien au-dessus de la moyenne, la ville de Grande-Synthe (59) est devenue en quelques années un concentré des difficultés auxquelles le reste de la planète pourrait bien être confronté dans la prochaine décennie. Sous l’impulsion de son maire, Damien Carême (EELV), cette cité industrielle a compris que la transition écologique pouvait être une véritable bouffée d’oxygène. Un pari qui a désormais valeur d’exemple


Des habitants de Grande-Synthe préparant des plantation dans " la Forêt qui se mange" (photo Facebook association La Forêt qui se mange)
A l’époque où l’industrie de la sidérurgie nourrissait des milliers de salariés de la région de Dunkerque, on l’appelait « Usinor ville ». Depuis la crise industrielle est passée par là et les ouvriers qui s’entassaient dans les 64 % de logements sociaux que compte la ville de Grande-Synthe sont venus grossir les statistiques de Pôle Emploi. Sur 23 000 habitants, près d’un tiers sont au chômage, faisant de leur ville l’une des plus pauvres de France. Triste record. Et comme si cela n’était pas suffisant, des hordes de migrants poussés par la guerre et la famine dans leur propre pays y font escale, dans des villages de toile, avant de poursuivre vers l’Angleterre, de l’autre côté de la Manche voisine. 

La pauvreté poussée à son paroxysme : le quotidien de cette ville des Hauts de France. De quoi jeter l’éponge et fuir vers d’autres horizons. Pas pour Damien Carême, maire écologiste de Grande-Synthe depuis 2001. Cet ancien animateur socioculturel, dont le père fut également maire de la ville, d’abord membre du Parti Socialiste avant de se tourner vers Europe Écologie les Verts, a préféré retrousser ses manches, mobiliser associations locales et pouvoirs publics, pour sortir ses concitoyens des conditions inacceptables dans lesquels ils se trouvent. Et ça marche au point d’être désormais considéré comme un laboratoire de ce que les autres vivront demain. 

Plaçant la crise industrielle derrière lui, l’édile est convaincu que les politiques de développement durable sont des réponses de long terme aux difficultés sociales des habitants. « Ce n’est pas l’économie qui doit diriger le pays, c’est le pouvoir de vivre », déclarait l’an dernier Damien Carême sur Le Monde.  « On ne veut plus être tributaire de multinationales qui peuvent fermer demain », poursuivait le maire, dont la ville tire encore des richesses fiscales de l’une des trois Usines Arcelor Mittal encore en activité dans la banlieue de Dunkerque.

Alors la transition écologique après la crise industrielle, c’est désormais  le chemin que suivent le maire et les citoyens de Grande-Synthe, plusieurs projets étant sur les rails pour que chacun réussisse à vivre décemment, dans un esprit de solidarité et d’humanité.

Alors plutôt que faire comme la plupart des villes, en cherchant à attirer de nouveaux habitants alors que sa ville en a déjà perdu 6 000 en trente ans, aménager de nouvelles zones commerciales ou encore soutenir l’expansion du port de Dunkerque et tous les aménagements qui vont avec, s’il ne promet pas d’emplois à ses administrés Damien Carême veut leur faire retrouver du pouvoir d’achat par d’autres moyens. Et pour lui ça passe par le retour à la terre nourricière, même en zone urbaine. Et tant pis si pour certains c’est un bon en arrière.
 
« Si la population ne peut pas s’offrir une alimentation de qualité, alors c’est à nous, collectivité, de créer les conditions pour que chacun puisse accéder à une nourriture saine ». 

Avec des jardins potagers en pied d’immeubles cultivés par les habitants, des arbres fruitiers en libre cueillette, des poulaillers partagés, des terrains maraîchers racheté par la collectivité ou sa forêt comestible, la ville du nord pourrait bientôt atteindre l’autonomie alimentaire en transformant la cité industrielle en une grande ferme urbaine.  « L’idée est de permettre aux habitants de bien se nourrir à proximité », souligne le maire en rappelant que la qualité de ces produits locaux permet de maintenir en bonne santé ceux qui les consomment. « Et des personnes qui tombent moins malade, c’est du pouvoir d’achat en plus ». Evident, mais il fait y penser… 
 
Depuis 2011, tous les repas servis dans les cantines de la commune sont 100 % bio et à 80 % régionaux et notamment d’une ferme de 14 hectares de terres maraichères installée au cœur de la ville, mise à disposition d’agriculteurs qui pratiquent l’agroécologie et la permaculture. C’est une structure d’insertion qui assure principalement cette restauration collective. Ce passage au bio a entrainé un surcoût de 20 % environ. « On ne l’a pas répercuté sur les habitants », précise le maire. « Offrir du bio à ses habitants, c’est un choix, pas une question d’argent ». Le reste des légumes de la ferme urbaine est revendu aux habitants. La ville s’est même lancée dans l’éco-pâturage, des animaux remplaçant les tondeuses à gazon. 

« On a beaucoup travaillé sur l’aménagement urbain et sur la création d’espaces verts et chaque habitant en a un à moins de 300m », ajoute Damien Carème dans une interview à Oui Magazine. « Depuis 2001, la qualité de vie augmente, la délinquance baisse et en 2019, on ne peut pas couper un arbre sans se faire engueuler par les habitants ».
 
Dernière opération en date, celle de l’association « La Forêt qui se mange ». Sur un terrain de 5300 m2, acquis et prêté par la mairie, les membres de l’association font croître depuis deux ans, une forêt où toutes les récoltes sont comestibles. Des arbres fruitiers, des noyers et des carrés potagers où poussent ciboulette, persil, menthe, fraises, plantes médicinales, … dans cette forêt entourée d’une clôture tout se mange et ceux qui ne sont pas membres de l’association disposent de planches à l’extérieur.
 
« Si la population ne peut pas s’offrir une alimentation de qualité, alors c’est à nous, collectivité, de créer les conditions pour que chacun puisse accéder à une nourriture saine » conclut le maire. Ajoutant même que « l’alimentation devrait-être, au même titre que les transports ou l’éducation, un service public. L’eau aussi devrait rester un service public, c’est vital. Si ça continue, bientôt, on taxera l’air. Devra-t-on un jour payer pour respirer ? ». Désormais Grande-Synthe c'est une ville verte, agréable à vivre, même si les fumées des aciéries ne sont pas loin.

 

« A Grande-Synthe, il y a un concentré de ce qui m’émeut, me bouleverse, me met en colère et m’enthousiasme ». Béatrice Jaud, réalisatrice du film "Grande-Synthe : la ville où tout se joue "





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