Gratuité des transports en commun, est-ce une bonne idée ?


le Lundi 17 Décembre 2018 à 17:02

La récente mobilisation des « gilets jaunes » et les difficultés qu’elle a entrainé pour les commerces des centres-villes à une période de gros chiffre d’affaire, ont réveillé l’envie de certaines collectivités françaises de rendre les transports en commun gratuits. Pour des raisons environnementales, certaines collectivités appliquent déjà cette gratuité. Est-ce une bonne idée ou une vraie fausse bonne idée. Explications.


Le tramway s'impose dans de nombreuses villes, en mode gratuit ou payant (Adobe Stock Photos)
Le tramway s'impose dans de nombreuses villes, en mode gratuit ou payant (Adobe Stock Photos)
L’annonce a défrayé la chronique de la mobilité en septembre dernier : la métropole de Dunkerque (17 communes et 200 000 habitants), annonçait avoir instauré la gratuité de son réseau de bus, pour toute la semaine et pour tous les usagers. « Nous sommes la plus grande ville d’Europe à instaurer une gratuité totale », lançaient les élus locaux, convaincus que c’était la solution pour améliorer la circulation, réduire la pollution et permettre à tous les usagers et notamment les plus démunis d’accéder au centre-ville de Dunkerque.
 
L’idée de rendre les transports collectifs gratuits pour augmenter leur utilisation et réduire du même coup l’utilisation de l’automobile, n’est pas nouvelle. Selon le journal le Monde qui avait lancé, lors de l’annonce de Dunkerque, un débat sur la gratuite des transports collectifs, le précurseur en la matière serait la ville de Commerce (ça ne s’invente pas …), dans la banlieue de Los Angeles (USA), qui aurait lancé l’idée en 1962. Dans le monde, plus de 100 réseaux urbains sont gratuits. C’est le cas de la ville de Tallin en Estonie (450 000 habitants) qui propose des lignes gratuites depuis 2016, mais uniquement pour ses résidents. 
 
En France, la ville de Colomiers, près de Toulouse, aurait été la première à se lancer dans la gratuité de ses transports en commun, en 1971. Elle aurait été suivie par Compiègne puis Chantilly, dans l'Oise. Depuis les années 2000, près d'une trentaine de villes ou d'agglomérations de toutes les tailles proposent désormais des transports gratuits. Niort (79) a lancé la gratuité de son réseau en 2017. Pour Dunkerque, l’idée a été lancée le week-end, en 2015, avant de le généraliser à tous les jours de la semaine depuis l’automne 2018. Dernièrement d’autres villes qui prennent en compte le climat social qui agite le pays en cette fin d’année, et les problèmes que cela engendre pour les commerces de centre-ville, ont décidé de lancer un service gratuit pour les fêtes de fin d’année. C’est notamment le cas de Nantes (44).
 
Dès lors que la gratuité est proposée, est que cela favorise l’utilisation des transports en commun ? En principe ça marche bien dans les grandes villes. A Tallin la fréquentation a été augmentée de 14% et la circulation dans le centre-ville a baissé de 6%. Selon l’Union des Transports Publics et Ferroviaires (UTPF) elle a été multipliée par 1,8 à Châteauroux et même augmentée de 70% durant les six premiers mois à Aubagne. Mais ce sont souvent les personnes qui avaient pour habitude de marcher qui intensifient l’usage, le report de la voiture ou du deux-roues vers les transports en commun resterait faible selon l’UTPF. Propos contredit par l’Ademe qui relève que le report modal vers les transports en commun existe bien. « Dans une étude publiée en 2007, nous avons vu qu'à Châteauroux plus de la moitié des nouveaux usagers du bus utilisaient la voiture auparavant (29 % de conducteurs, 22 % de passagers) et 12 % le deux-roues, contre un quart (23 %) qui marchaient à pied ». Mais d’une manière globale, les automobilistes, même s’ils savent que leur voiture leur coûte plus cher, 27 centimes par kilomètre lors des déplacements de proximité, contre 11 centimes en transport collectif en Ile-de-France, ils apprécient la liberté de déplacement et n’envisagent pas de changer.
 
« Si ce ne sont pas les voyageurs qui paient, ce seront les contribuables qui paieront d'une manière ou d'une autre ».

 Si la gratuité semble intéressante sur le plan écologique en réduisant les flux de voitures dans les centres-villes, faut-il pour cela que les transports collectifs aient un impact faible sur l’environnement. Tramway propulsé électriquement, bus à hydrogène ou BioGNV, sont désormais les nouveaux modèles mis en fonctionnement des transports en commun pour réduire l’empreinte carbone. 
 
Reste la gratuité en elle-même dont le coût n’est pas négligeable pour la collectivité. Si elle est revendiquée par de nombreuses associations qui considèrent qu’il s’agit là d’une vraie mesure de solidarité et de justice sociale, « l’idée que l’on puisse avoir un service demain, rendu gratuitement, sans que cela coûte rien à personne, est une idée assez fausse », répond le porte-parole du Gouvernement Benjamin Griveaux, lequel y voit surtout « une mesure électoraliste », notamment à Paris. Anne Hidalgo, la maire de Paris, ayant effectivement soulevé l’idée pour ce qui concerne la capitale. « En Ile-de-France, la vente des tickets rapporte 3 milliards d'euros chaque année. Si ce ne sont pas les voyageurs qui paient, ce seront les contribuables qui paieront d'une manière ou d'une autre », ajoute Valérie Pécresse, la présidente de la Région Ile-de-France.
 
Alors qui paie vraiment les transports urbains ? Selon le Groupement des Autorités Responsables de Transport (GART) les transports en commun sont financés à la fois par l'usager, par son titre de transport, par l'argent public et par les entreprises.  Au niveau national, le prix des billets ne couvre en moyenne que 17 % du coût total. Ce sont les collectivités locales qui contribuent à hauteur de 35 % et la plus grosse partie est financée par les entreprises de plus de 10 salariés, par « la taxe transport » et éventuellement par une taxe additionnelle. 
 
La gratuité du titre de transport est facilement envisageable, compte tenue de la part qu’elle représente.  Mais elle se traduira inévitablement par une hausse des taxes locales pour les entreprises et dans une moindre mesure, des particuliers. Tout le monde sera invité à mettre la main au porte-monnaie, qu’il soit utilisateur ou non. 
 
Dans tous les cas il doit s’agir d’une volonté politique, qui passe par l’attractivité d’un territoire, permettant d’attirer plus d’entreprise, plutôt que par une vraie mesure sociale. « Le transport public a un coût économique élevé, pourquoi subventionner intégralement les usagers qui peuvent payer ?, questionne Jean Sivardière de Reporterre. « Il existe des systèmes de tarification solidaire, cela suffit à garantir le droit au transport des usagers à faibles revenus, la gratuité totale étant réservée à ceux qui en ont vraiment besoin, dans le cadre d’une démarche de réinsertion sociale ». 
 
Plutôt que chercher la gratuité il serait, pour certains, plus opportun de privilégier le péage urbain, comme l’a fait Londres, lequel réduit la place de la voiture en privilégiant la marche, le vélo et le rail. De même les collectivités qui doivent s’attacher à rendre plus attractif leur réseau par une meilleure offre de service en matière de fréquence et de qualité de transport, doivent aussi maitriser les coûts des entreprises privées auxquelles elles confient la gestion de leur réseau.  





              

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