La ville du quart d’heure : comment concrétiser ce nouveau modèle urbain


Rédigé par Christine DANIAUD-GALET le Jeudi 22 Avril 2021 à 17:10

Une ville où « tout » serait accessible en moins de 15 minutes à pied ? C’est une idée qui séduit des métropoles du monde entier, dont Paris. Mais entre la phase d’idéation et la concrétisation de ce projet, il faut non seulement le soutien politique, mais aussi un rééquilibrage de quartiers ainsi qu’une analyse poussée des besoins du territoire.


la ville danoise de Copenhague s'est emparé du concept du quart d'heure (photo Adobe Stock)
Copenhague, Paris, Melbourne, Ottawa, Édimbourg et bien d’autres se sont emparées du concept de « la ville du quart d’heure » afin de repenser et de réorienter leur modèle d’organisation et de développement. Il s’agit de faire advenir des villes « viables, vivables, équitables et durables » où chaque habitant peut satisfaire ses besoins existentiels – habiter, travailler, s’approvisionner, apprendre, être en forme, s’épanouir – dans un rayon d’un kilomètre, distance que tout un chacun peut parcourir en 15 minutes à pied.

Cependant il ne faut pas s’y tromper : telle que théorisée depuis 2014 par Carlos Moreno, co-fondateur et directeur scientifique de la Chaire Entrepreneuriat Territoire Innovation (ETI) de l’IAE Paris - Sorbonne Business School, « la ville du quart d’heure » est une démarche politique de longue haleine. C’est une démarche qui est d’autant plus exigeante qu’elle passe par un rééquilibrage extrêmement fin des tissus urbains existants et va à l’encontre de décennies de politiques métropolitaines fondée sur l’hyper-mobilité des personnes, l’hypertrophie des infrastructures routières et la partition des villes en zones monofonctionnelles (commerciales, résidentielles, etc.). Comment instaurer un tel rééquilibrage qui tienne compte des facteurs d’aménagement du territoire comme les questions du logement, de la mobilité, des services et des équipements publics ?

Passer de l’hyper-mobilité à l’hyper-proximité

Force est de constater que les priorités collectives, tout comme les aspirations individuelles, ont changé. Non seulement le schéma urbain de l’hyper-mobilité ne fait plus rêver personne, mais il est de plus en plus perçu comme étant totalement incompatible avec les enjeux climatiques et environnementaux du fait de la dépendance à la voiture individuelle et à la consommation d’énergies fossiles. Pour autant, c’est bien ce modèle urbain qui reste prédominant à l’heure actuelle, et c’est bien lui qu’il faut transformer en ville du quart d’heure afin qu’il puisse répondre aux nouvelles exigences de l’hyper-proximité de nos sociétés.
 
La première difficulté est que l’on part généralement de situations très contrastées, entre les centres-villes et le reste du territoire. Les quartiers situés dans le centre de Paris, par exemple, traduisent déjà la logique de « la ville du quart d’heure », avec une densité d’équipements publics, de services, de commerces et de moyens de transport supérieure à ce que l’on peut trouver dans les zones pavillonnaires des confins du Grand Paris. Or la démarche n’a de sens qu’à l’échelle de la métropole et vise précisément à sortir de l’opposition centre-périphérie au profit d’une organisation urbaine polycentrique, où chaque pôle parvient à répondre aux besoins quotidiens de ses habitants.
 
La deuxième difficulté est celle du rééquilibrage, sans créer de nouveaux déséquilibres. C’est aux collectivités et, plus largement, à la puissance publique de faire pleinement valoir leurs prérogatives pour créer les conditions du rééquilibrage en travaillant simultanément dans trois directions :
  La réimplantation des services et équipements publics de proximité là où ils sont absents ou insuffisants, en cherchant à déterminer la localisation optimale en termes de proximité et d’accessibilité ; L’application de politiques de logement volontaristes, l’accès à une offre de logement diversifiée, pour répondre à tous les besoins, étant la clé de la mixité sociale recherchée dans chaque pôle. Cet accès joue aussi un rôle moteur dans l’installation de commerces et de services diversifiés eux aussi ; L’aménagement d’un réseau de mobilités « douces » (piétonnière/vélo) au sein de chaque quartier, ce qui suppose des connexions intelligentes avec le reste de la voirie, les transports en commun et les zones de parking.

Au cœur de la démarche : la donnée territoriale et l’analyse chrono-spatiale

Si la volonté politique est le moteur de la démarche théorisée par Carlos Moreno, les données et les outils d’analyse spatiale en sont le carburant. Il s’agit très concrètement de comprendre le territoire et d’identifier les déséquilibres que l’on cherche à corriger, la dimension temporelle de 15 minutes étant la clé de cette exploration et des rééquilibrages à opérer. Quand on voit la multitude des paramètres à prendre en considération, pour chacune des six fonctions de la ville du quart d’heure, connaître la localisation exacte ou déterminer la localisation optimale en mesurant tout à la fois l’attractivité, la fréquentation, l’accessibilité et les taux d’usage ou de recours de chaque lieu ou équipement, on comprend que le projet d’aménagement urbain de la « ville du quart d’heure » est fondamentalement un projet « données ».
 
La compréhension du territoire, de ses dynamiques et de ses potentialités passe par la capacité à mobiliser les données disponibles. 
 
Les étapes de capture, de mise en qualité et structuration des données sont des prérequis indispensables pour l’exploitation des données et de leur dimension géographique. Les volumétries en jeu et le caractère multidimensionnel des problématiques justifient pleinement le recours aux techniques de data mining et d’apprentissage statistique (machine learning et deep learning). Mais seules les technologies d’analyse spatiale, de visualisation et d’optimisation multicritère permettent de « faire parler les données » tout au long de la mise en œuvre d’une approche « ville du quart d’heure », que ce soit à des fins de compréhension, d’exploration, de simulation de scénarios, d’aide à la décision ou de concertation citoyenne.
 

Une voie de sortie de la crise COVID-19 ?

La crise COVID-19, qui met les villes à l’arrêt et les économies à genoux en limitant drastiquement la circulation des personnes, ne fait qu’amplifier l’intérêt pour ce concept et valider la pertinence du principe d’hyper-proximité sur lequel il repose. On notera à ce titre que « la ville du quart d’heure » est un pilier de l’agenda de reprise post-COVID-19 publié en juillet 2020 par les maires du C40 Citiesun réseau de 96 mégalopoles mondiales engagées pour le climat et totalisant plus 700 millions de citoyens.
 
Les restrictions sanitaires, qui ont contraint les Français à rester confinés dans un rayon d’un kilomètre autour de leur domicile, ont démontré à la population l’importance de l’accessibilité de tous les services essentiels à proximité. Si certains acteurs publics et experts en étaient déjà convaincus, ils peuvent désormais tirer les conséquences de cette prise de conscience nationale pour entamer d’ores et déjà des projets de rééquilibrage, en s’appuyant toujours sur des données, afin de transformer l’idée de « la ville du quart d’heure » en réalité.

Une tribune proposée par :
Christine Daniaud-Galet,
Directrice communication, produits et connaissance chez GEOCONCEPT





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