En 2018, on va beaucoup parler data. Au risque de passer à côté de l’essentiel.


le Mardi 6 Février 2018 à 08:10

La loi pour une République numérique impose à toutes les collectivités de plus 3 500 habitants d’ouvrir leurs données d’ici octobre prochain. Quelques mois plus tôt tous les acteurs publics auront été soumis aux nouvelles règles européennes de protection des données personnelles. Les colloques, rencontres, formations et offres de services se multiplient avec un seul objectif : la course à la mise en conformité. Dans ce contexte, un livre détonne celui de Jacques Priol, président de la société de conseil Civiteo à Nantes.


Jacques Priol et le livre qui devrait servir de référence aux acteurs des territoires (Photo Civiteo)
Jacques Priol et le livre qui devrait servir de référence aux acteurs des territoires (Photo Civiteo)
En traitant globalement du big data des territoires, Jacques Priol pose des questions politiques et stratégiques qui dépassent de très loin les questions juridiques du moment, bousculent les acteurs locaux et interrogent ce faisant les fondements de la Smart City. Quatre questions à Jacques Priol, auteur de : «  Le big data des territoires : les nouvelles stratégies de la donnée au service de l’intérêt général ».

VIM : En soulevant des questions éthiques, des questions politiques et des questions démocratiques sur l’usage des données par les acteurs locaux, vous jetez un pavé dans la mare des acteurs de la Smart City ?

Jacques PRIOL :
«  Dans ce livre, j’attire l’attention des décideurs, les élus, les dirigeants territoriaux et leurs partenaires, sur le fait que les nouveaux usages de la donnée qui viennent enrichir la fabrication des politiques publiques ne sont pas neutres et anodins. Ce constat est général. Il concerne toutes les collectivités locales car elles collectent et traitent toutes des volumes de données de plus en plus importants, et s’apprêtent pour 4000 d’entre-elles à les ouvrir progressivement en application de la Loi pour une République numérique. Mais bien sûr les territoires engagés dans une démarche de Smart City sont plus exposés. Dès lors que des politiques publiques deviennent « data driven » ces questions prennent une acuité toute particulière. Il ne s’agit peut-être pas d’un pavé dans la mare mais d’une mise en garde ».

VIM : Que redoutez-vous particulièrement ?

JP :  « Les objectifs affichés de la Smart City sont globaux. La ville intelligente, alimentée de données massives, doit conduire de façon concomitante à des performances optimisées de la gestion urbaine, à une transparence accrue et à un renforcement de la participation citoyenne (ou à tout le moins à une prise en compte améliorée des attentes et des besoins des citoyens). Avec un peu de recul, nous constatons que les métiers, aujourd’hui concernés, sont ceux qui gèrent des flux : les transports, l’énergie, l’eau, les déchets .

Ajoutons la sécurité. Et c’est bien logique puisque la gestion des flux se prête à la mesure et à la multiplication des capteurs et au déploiement d’un arsenal IoT. La performance technique et financière semble au rendez-vous. Mais des questions aussi essentielles que la confiance des citoyens dans les processus de collecte et de traitement des données, la transparence des processus algorithmiques, ou même le contrôle politique et démocratique ne sont pas intégrées en amont dans la conception des dispositifs. Nous allons au devant de déconvenues
».

VIM : Justement, la mise en œuvre du Règlement européen sur la protection des données (RGPD), en mai, puis de l’open data par défaut, en octobre, n’offriront ils pas les garanties nécessaires ?

JP :  « A condition d’en faire des leviers pour l’action ! Nous risquons de voir en 2018 beaucoup de collectivités locales chercher uniquement à se mettre à un niveau minimal de conformité. Simplement respecter la loi, c’est bien le moins pour un service public non ? La mise en œuvre du RGPD doit être l’occasion d’une réflexion sur les usages que l’on veut faire des données, nombreuses, dont les acteurs publics disposent sur la population dont ils ont la charge. Quelles données collecter ? Pour que faire ? Dans quelle relation de confiance avec les habitants ? Avec quels outils de contrôle démocratique ? Des territoires expérimentent un processus démocratique sur le sujet. C’est le cas notamment au sein du « quartier démonstrateur » de l’île de Nantes.

L’ouverture des données, appliquée sans réflexion globale va aussi s’avérer un piège. Publier quelques jeux de données dites « essentielles » avant la date butoir d’octobre 2018 n’aura pas grand sens. Il faut réfléchir aux usages de ces données, aux outils de médiation à construire pour faciliter leur utilisation, par des citoyens, par des acteurs publics ou des acteurs économiques
  » .

VIM : Vous terminez votre livre par un plaidoyer en faveur de véritables stratégies territoriales de la donnée. De quoi s’agit-il ?

JP : «  Les acteurs publics ont une responsabilité globale. Et ceci est particulièrement vrai dans la Smart City. Ils doivent construire une stratégie de la donnée publique : quelles sont mes données ? Comment les traiter ? Lesquelles publier ? Où les stocker ? Comment protéger les données personnelles des habitants, mais aussi comment les utiliser sous la double condition d’un processus transparent et contrôlé ?  

Mais les territoires doivent aussi construire une stratégie publique de la donnée : comment récupérer des données privées qui sont d’intérêt général ? Quelle gouvernance de la donnée instaurer pour permettre des usages vertueux de ces données, conformes à l’intérêt général qu’ils représentent ?

Il faut pour cela de la méthode, des principes et des outils. A défaut, la ville intelligente pourrait ne pas s’avérer aussi intelligente qu’espéré ! Et l’année 2018 être une année paradoxalement peu utile à la data publique
».

«  Le big data des territoires : les nouvelles stratégies de la donnée au service de l’intérêt général ».
FYP Editions, novembre 2017
22 euros  





              


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