La ville intelligente est celle qui fait appel à l’intelligence collective


le Jeudi 24 Février 2022 à 14:58

Terme à la mode, utilisé par un nombre croissant de collectivités, dont certaines en font un argument marketing pour attirer les entreprises et leurs collaborateurs, la traduction anglaise de « Smart City », n’est pas assurément une ville technologique, bardée de capteurs et de caméras. C’est en premier lieu une ville durable qui sait mobiliser les compétences de ses acteurs. Décryptage


Barcelone, une métropole espagnole qui a fait appel à l'intelligence collective pour se moderniser (photo Tango7174)
Barcelone, une métropole espagnole qui a fait appel à l'intelligence collective pour se moderniser (photo Tango7174)
Pour le franco-Colombien Carlos Moreno, éminent professeur des Universités connu pour ses réflexions, initiatives et applications autour de la ville intelligente et durable, « l’intelligence d’une ville, c’est d’abord celle des citoyens ». C’est-à-dire une ville qui fait appel à l’intelligence collective, celle qui mobilise en premier lieu toutes les compétences disponibles au sein de la ville ou d’un territoire, sans en passer obligatoirement par la technologie digitale. 
 
Plutôt que de parler de ville (ou de territoire) intelligent, comme le font de plus en plus d'édiles qui se lancent à grand renfort de communication, dans une opération d’envergure, couteuse et pas forcément rentable, il serait plus opportun de parler d’une cité qui fonctionne en bonne intelligence avec son environnement. C’est-à-dire une ville gérée avec raison, pacifisme et diplomatie, dans une démarche de compromis qui garantit une bonne entente, au sein de son territoire comme à l’extérieur. Le numérique qui permet d’automatiser et optimiser certaines tâches, n’étant alors qu’un outil, une opportunité technique, au service de la ville durable.
 
Partant de ce constat, la ville dite intelligente n’est donc pas une fin en soi et encore moins un argument pour rendre une ville plus attractive. Ce sont surtout le dynamisme économique, la possibilité d’y vivre en sécurité, d’y trouver un emploi, le tout dans un cadre de vie agréable, qui rendent la ville plus attirante. 
 
S’il est désormais acquis que les technologies de l’information de la communication, peuvent permettre d’améliorer la qualité des services urbains et réduire leurs coûts pour la collectivité et par conséquence des habitants, ce n’est pas ce qui rendra une ville plus intelligente qu’une autre. Certes, les villes qui s’équipent des dernières technologies peuvent espérer fonctionner de manière plus efficiente, être plus économes et offrir plus de services aux usagers. Les systèmes, quoique dotés désormais d’intelligence artificielle, ne peuvent pas piloter la ville, sans une part non négligeable d’humain.  Ce n’est donc pas la ville qui est intelligente mais ceux qui assurent sa gouvernance au quotidien, qu’ils soient élus, entrepreneurs ou simple citoyen, acteur de sa ville. 
 
On parle alors de « ville collaborative », « agile » ou encore « ouverte »

D’ailleurs « les villes qui ont adopté les solutions numériques en priorité et qui se considéraient comme pionnières en la matière, ont essuyé quelques revers, tels que l’inadéquation de certains services proposés par rapport aux besoins réels des territoires, ou encore une perte de souveraineté liée à une dépendance technologique trop forte vis-à-vis des prestataires », note le Cerema (*) dans l’une de ses publications sur la notion de ville intelligente. 
 
Un premier mouvement qui va de pair avec la transition numérique des collectivités comme des entreprises, a consisté à irriguer la ville d’intelligence artificielle capable d’assurer l’automatisation des processus de gestion (eau, électricité, transports, etc.). Dans ce cas il serait plus opportun de parler de « ville numérique » ou de « ville connectée », mais pas vraiment de ville ou de territoire intelligente.
 
La notion de ville intelligente est surtout un problème de sémantique persistant, largement véhiculé par les entreprises technologiques qui ont saisi l’opportunité commerciale. Si l’anglais « Smart City » se traduit par ville « astucieuse », « ingénieuse », « futée… », la traduction par ville intelligente est considérée comme imparfaite. 
 
En fait la ville dite intelligente n’est rien d’autre que le prolongement de la ville durable, celle qui prend en compte simultanément les enjeux sociaux, économiques, environnementaux et culturels de l'urbanisme, pour et avec les habitants, en facilitant les modes de travail et de transport sobres, en développant l'efficience du point de vue de la consommation d'énergies et des ressources naturelles et renouvelables. Cette ville prend tout son sens aujourd’hui face aux enjeux climatiques qui imposent de nouvelles façons de penser l’aménagement des villes, leur construction et leur fonctionnement. L’objectif étant d’aménager et construire une ville agréable à vivre, avec des services qui répondent aux usages, étant entendu qu’ils peuvent être différents d’une ville ou d’un territoire à un autre, qu’il s’agisse d’une zone urbanisée ou d’un territoire rural. 
 
En réaction à la ville hautement technologique, un second mouvement est en train de voir le jour. « Ce mouvement vise à remettre au centre des préoccupations les finalités de l’action publique locale et l’innovation sociale, plutôt que de considérer que le progrès technologique pourra seul répondre aux enjeux », précise le Cerema. 
 
Avant de se lancer dans une démarche de ville dite intelligente, les collectivités se mettent alors à l’écoute des citoyens et des acteurs socio-économiques, via des plateformes de participation citoyenne (CivicTech) et s’ouvrent à la gouvernance territoriale. Les citoyens sont alors associés en amont de la prise de décision finale, dévolue au Conseil Municipal. 
 
Le but recherché, et l’on peut s’en féliciter, étant d’améliorer l’adéquation des projets aux besoins et d’augmenter l’engagement des citoyens et des parties prenantes en mobilisant l’intelligence collective des territoires, selon une approche globale et non plus sectorielle. 
 
« On parle alors de « ville collaborative », « agile » ou encore « ouverte », considérant que la nouveauté technologique du numérique est, ou sera bientôt, intégrée dans les pratiques, et que l’heure est aujourd'hui à une approche collaborative de la fabrique de la ville et de son fonctionnement », ajoute le Cerema.
 
Ce nouveau mouvement fait émerger la notion de « smart territoire » ou, pour les plus petites communes, notamment en zone rurale, de « smart village », avec de nouvelles problématiques concernant les enjeux de maintien des services et de mobilité dans ces territoires.
 
En conclusion, « la ville intelligente ne doit pas être vue comme un idéal à atteindre mais comme un processus d’aménagement du territoire », déclarait Florent Boithias, Responsable de la mission Villes et territoires intelligents au Cerema, lors du SIIViM (Sommet International de l'Innovation en Villes Médianes), en novembre 2019, à Nevers (voir vidéo ci-après).
 
(*) Le Cerema (centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle conjointe du ministre de la transition écologique et solidaire, et du ministre de la cohésion des territoires. 






              

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